Académie de Pharmacie : des ruptures de stock de médicaments problématiques Imprimer
Écrit par VIDAL News Officine N°276   
Jeudi, 28 Mars 2013 21:56

Lorsqu’un médecin prescrit un médicament, il existe désormais des risques non négligeables que le patient ne puisse l’obtenir en pharmacie. L’Académie Nationale de Pharmacie, lors de la séance thématique du 20 mars 2013, a fait part de ses préoccupations et propose...

des pistes pour juguler ce phénomène inquiétant.

Les pharmaciens sont quotidiennement confrontés à des difficultés d'approvisionnement.

ANSM : 50 médicaments "sans alternative thérapeutique disponible" en rupture de stock.
Les laboratoires pharmaceutiques signalent régulièrement les ruptures de stocks aux médecins et à l’ANSM (Agence Nationale de sécurité du médicament et des produits de santé). Ces ruptures peuvent être problématiques lorsqu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique disponible. Mais dans certains cas, des médicaments destinés à d’autres pays peuvent être importés afin de pallier cette carence.

Vous pouvez accéder sur le site de l'ANSM à la liste des spécialités médicamenteuses "sans alternative thérapeutique disponible" en rupture de stock (50), en risque de rupture de stock (12), ou dont la commercialisation est arrêtée (22). Le site de l’ANSM mentionne également les 37 médicaments remis à disposition après rupture.

Chaque jour, les pharmaciens de ville n’obtiennent pas 5 % des médicaments commandés
Lors de la séance thématique de l’Académie de Pharmacie consacrée à ce sujet, Philippe Liebermann, pharmacien d’officine à Strasbourg, déplore que "chaque jour, 5 % des médicaments commandés [aux grossistes-répartiteurs] sont en rupture [dans les officines] et 50% des ruptures dépassent les 4 jours".

Il regrette que les pharmaciens n’aient pas, comme au Canada, la possibilité d’optimiser leurs stocks en ayant une "délégation d’adaptation [NDLR : droit de substitution] des traitements, même en cas de ruptures". En conséquence, les pharmaciens doivent toujours avoir un "stock tampon", ce qui est de plus en plus compliqué en raison de l’augmentation "considérable" du nombre de médicaments, en particulier de "me-too" (nouveaux médicaments proches d'un médicament déjà commercialisé) et de génériques.

Le Dr Liebermann souligne que "cette situation rend l’exercice officinal de plus en plus difficile, sachant que toute interruption de traitement pour un patient, même très momentanée, peut avoir des incidences graves".

Un changement de modèle pour la fabrication et la distribution des médicaments
En sus de la multiplication du nombre de médicaments, ce qui expose les pharmacies à une difficulté d’exhaustivité, l’augmentation des coûts des produits innovants  (biotechnologies) et les aléas de la prise en charge par les régimes de protection sociale a conduit l’industrie pharmaceutique à s’adapter, relève Jean-François Dulière, président de la Société Internationale d’Ingénierie Pharmaceutique (ISPE).

Cette adaptation s'est faite grâce à des gains de productivité, à une limitation des sites de production malgré une mondialisation de la distribution, et à une externalisation en Asie de la fabrication d'une grande partie des matières premières des médicaments. Yves Juillet, président de l’Académie, a ainsi souligné que 60 à 80% des principes actifs étaient désormais fabriqués en Inde ou en Chine, rejoignant le constat de l’Igas à propos des médicaments génériques en septembre 2012.

En conséquence, les entreprises pharmaceutiques ont tendance à "réduire le niveau de stocks dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des produits", précise Mr Dulière, qui mentionne également les déséquilibres liés au succès différent d’un produit d’un pays à l’autre.

Un cercle vicieux nécessitant des solutions "par type de cause"
Pour Georges France (laboratoire Novartis), il y a aussi des difficultés techniques (il est par exemple difficile de prévoir des sites alternatifs de production pour les molécules de haute technologie), économiques et l’influence d’"un certain nomadisme des patients". Selon lui, toutes ces explications aboutissent à l’installation d’un "cercle vicieux où chacun rejette la responsabilité sur l’autre opérateur".

Il faut donc comprendre toutes les causes de ces difficultés et "réfléchir aux solutions par type de cause, même si certaines ruptures d’approvisionnement sont la conséquence en chaîne de plusieurs causes".

Relocaliser la production des principes actifs
Parmi les causes de rupture évoquées ci-dessus, la délocalisation de la production des matières premières en Asie rend difficile une réaction rapide lorsque la rupture est constatée. De plus, l’Inde et la Chine ne respectent pas les mêmes normes sociales et environnementales que l’Europe, ce qui expose à une "perte de maîtrise des risques", résume David Simonnet, Président du Groupe Axyntis (chimie fine).

Ce dernier préconise la relocalisation d’une partie de cette production : "enjeu de santé publique, la maîtrise de la fabrication des matières premières à usage pharmaceutique est donc, dans ce contexte, devenu un enjeu stratégique pour l’Europe".

Il souhaite également que les boîtes de médicament mentionnent "l’origine des lieux de fabrication des matières premières à usage pharmaceutique" et qu’une liste de médicaments "qu’il est vital de relocaliser" soit établie "afin de garantir l’indépendance de notre politique de santé tout en favorisant le maintien des capacités de production existant en France et en Europe".

Des décisions déjà actées et des propositions pour améliorer la situation
En sus de ces constats et propositions, l’Académie a aussi suggéré la création d'un répertoire européen de suivi des ruptures et inspections, ainsi qu'une interdiction d’exportation des médicaments sans équivalent thérapeutique.

Par ailleurs, le décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l'approvisionnement en médicaments à usage humain "prévoit que les exploitants doivent approvisionner tous les établissements autorisés à l'activité de grossistes-répartiteurs afin de leur permettre de remplir leur obligation de service public de manière à couvrir les besoins des patients en France. Il instaure des centres d'appel d'urgence, mis en place par les exploitants, pour le signalement des ruptures par les pharmaciens officinaux et hospitaliers et par les grossistes répartiteurs". Ces mesures d'approvisionnement garanti et de signalement optimisé sont censées être mises rapidement en place.

Ces propositions et mesures déjà actées réussiront-elles à endiguer l’augmentation des ruptures, et donc des discontinuités thérapeutiques ?

Jean-Philippe Rivière

Sources et ressources complémentaires :
- "Médicaments : Ruptures de stocks, ruptures d’approvisionnement", une problématique polymorphe, diversité d’origines, solutions plurielles, Séance thématique de l’Académie Nationale de Pharmacie,  20 mars 2013 (fichier PDF)
- "Ruptures de stock et arrêts de commercialisation des médicaments" à usage humain sans alternative thérapeutique, liste de ANSM avec liens vers fiches explicatives pour chaque produit concerné
- "CARDIORYTHMINE 50 mg/10 ml, solution injectable - Arrêt de distribution", ANSM, 16 novembre 2012
- "Evaluation de la politique française des médicaments génériques", Igas, septembre 2012 (fichier PDF)
- "Pharmacies : les ruptures de stock des médicaments en forte hausse", Lemonde.fr, 21 mars 2013
- Décret n° 2012-1096 du 28 septembre 2012 relatif à l'approvisionnement en médicaments à usage humain, legifrance.gouv.fr